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Niger
Le Niger doit du fric |
12 août 2005 - « Afrique esclavagisée, colonisée, martyrisée, dévalisée ! Ainsi donc, l’Afrique doit du fric ! » Sur la scène du Spectrum de Montréal, le militant reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly rappelait à la foule qu’après toutes ces insultes globales, le peuple africain doit encore et toujours consacrer une grande partie de ses capitaux au service du remboursement de la dette. Malgré l’ensemble des maux qui affligent le continent - et, surtout, le fait que cette dette a été, intérêts obligent, remboursée plus de trois fois déjà - l’Afrique doit du fric. Encore et encore. C’est le cas du Niger, qui fait malheureusement les manchettes ces jours-ci en raison de l’importante famine qui y sévit. Les médias ont même souligné la « particularité » de celle-ci : contrairement à l’habitude, aucun conflit armé n’y est à l’origine. On ne peut même pas blâmer un despote autoritaire réprimant son peuple. Seule Dame Nature s’acharnerait sur les Nigériens. Certes, l’invasion de millions de criquets pèlerins à l’été 2004 a terriblement affecté les récoltes. Celles-ci, en quantité insuffisante, ne permettront pas à la population nigérienne de traverser la période de soudure, soit celle séparant la fin des réserves céréalières et les prochaines récoltes. Avant même la présente famine, 4,2 millions de Nigériens souffraient de malnutrition chronique, sur une population de 11 millions d’habitants. Alors qu’on croirait la famine toucher les zones arides éloignées, force est d’admettre que l’actuelle flambée des prix des denrées touche la totalité du pays, y compris sa capitale, Niamey. La seule explication « naturelle » est-elle suffisante ? Serait-ce donc aussi simple ? Même devant la dynamique cyclique des famines qui affectent le Niger à intervalles trop réguliers ? Un État sans pouvoirs L’invasion de criquets, qui a ravagé les récoltes l’année dernière, aurait facilement pu être contenue. Un simple épandage de produits insecticides aurait eu raison des millions de bestioles. Mais voilà, le gouvernement n’avait pas les avions nécessaires. La volonté a manqué aux bailleurs de fonds. Tel un saupoudrage de bonnes intentions sur la misère nigérienne, un pont aérien a été instauré en dernière instance, qui pourra ravitailler en céréales européennes et américaines un Niger affamé. Le gouvernement nigérien, qui a eu l’humilité de reconnaître la crise alimentaire dès l’automne 2004 en appelant les donateurs à la rescousse, insiste toutefois pour que l’aide alimentaire soit vendue plutôt que donnée. À un prix dérisoire, certes, ou à crédit s’il le faut. Sans un sou, les paysans en sont venus à vendre leur bétail pour une bouchée de pain. Un collègue nigérien me confiait que les prix sont descendus à 500 FCFA ($1,25) par vache. Plutôt que les voir mourir de faim, les éleveurs revendent leurs troupeaux aux spéculateurs venus en grand nombre du Nigéria voisin. L’État nigérien ne peut malheureusement répondre de lui-même à cette crise. Après vingt ans de politiques d’ajustement structurel et de nombreuses conditionnalités néolibérales, les services sociaux ne représentent plus qu 20% de son budget. Le service de remboursement de la dette, même en ces temps difficile, totalise pour sa part 30% des dépenses nigériennes. Allègement de la dette ? Plusieurs annonces et accords qualifiés « d’historiques » ont marqué les dernières années en matière d’allègement de la dette des pays pauvres. Dernier en date, « l’effacement total » de la dette de 18 pays, accepté lors du sommet du G8 en Écosse cette année. Pour être compris toutefois, cet accord doit être replacé dans le contexte de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), mesure pilotée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international suite à la crise de légitimité des plans d’ajustement structurel. Malgré de mirobolantes promesses, l’initiative des PPTE s’est avéré être un échec cuisant, aux retombées désastreuses en termes de développement humain dans les 42 pays sélectionnés. En fait, ce plan ne prévoyait que l’allégement d’une partie de la dette, soit celle dépassant un « seuil » d’endettement jugé acceptable pour ces pays. La majorité de cette dette, soit celle en dessous du seuil déterminé par la Banque et le FMI, doit toujours être remboursée. C’est pour cette raison que le Niger a vu son service de remboursement de la dette augmenter de 16% en 2001, 24% en 2003, et de 15% en 2005. La dette totale du Niger s’élève maintenant à près de $ 3 milliards. Tout comme l’initiative des PPTE, l’accord du G8 en Écosse sera « compensé » par une diminution égalitaire de l’aide publique versé à chaque pays. Et ce, lorsque les instances concernées par ce plan - la Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement (BAD) - auront entériné le plan d’allègement. Un pays en otage Un allègement vaut mieux que rien du tout, répondront certains. Malheureusement, l’humanisme des pays donateurs et des institutions financières internationales ne vient pas seul. Pour être éligible à toute forme d’allègement que ce soit, le Niger a dû et devra se plier à une série de « conditionnalités » qui rappellent trop les mesures économiques draconiennes contenues dans les plans d’ajustement structurel des années précédentes. Ainsi, l’eau des principales villes du Niger a été privatisée, au profit de Vivendi notamment, qui multiplie les hausses de tarifs et les débranchements. Le groupe chinois ZTE s’est quant à lui approprier le secteur des télécommunications. Dans un pays où l’élevage représente la principale activité économique, même l’Office national vétérinaire a été privatisé. À l’aube de la famine, le président Mamadou Tanja a élevé à 19% la TVA, en plus de l’imposer aux denrées alimentaires, à l’eau potable et autres produits de première nécessité. Les coupures drastiques dans les programmes sociaux se font de plus en plus sentir parmi la population, notamment au niveau des services de santé et d’éducation. Selon les modalités imposées par les pays donateurs et les institutions financières internationales, 75% du corps professoral fut envoyé en pré-retraite. D’ici 2010, ce taux atteindra 90%. Dans un pays où 92% des femmes et 77% des hommes sont analphabètes, les professeurs sont dorénavant remplacés par des « volontaires de l’éducation » : des jeunes sans formation, sans diplôme, qui gagnent le quart du salaire des professeurs réguliers et qui n’ont pas droit à la syndicalisation. Même restructuration du côté des soins de santé : pourquoi payer une infirmière ou un médecin alors que n’importe quel « volontaire de la santé » peut donner une piqûre ou mettre un pansement ? La dégradation des services de santé nigériens est un facteur majeur dans l’incapacité des autorités nigériennes à répondre aux troubles de santé provoqués par la famine actuelle. Il est grand temps de redonner les pleins pouvoirs au Niger pour qu’il soit en mesure de contrer ses propres tragédies. En cancellant la totalité de sa dette, et en l’accompagnement de façon appropriée pour que le pays rencontrent les modestes Objectifs du Millénaire, peut-être pourrions-nous même briser le cycle continu des famines au Niger - naturelles en apparence, mais véritablement structurelles. |
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