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Le retour des ’professeurs de trahison’ ?

21 septembre 2005


Les ’professeurs de trahison’, c’est par cette formule qu’un ministre bien peu républicain de la IV° République dénonçait les universitaires qui ne couvraient pas de leur silence les crimes commis par des Français durant la guerre d’indépendance algérienne. Le ministre délégué des anciens combattants vient de rappeler tout cela à notre souvenir par un entretien avec le journal Le Citoyen (Alger) du 15 septembre, repris sur le site du Nouvel Observateur.

Il a affirmé que la loi française du 23 février dont l’article 4 impose d’enseigner « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » est « un problème franco-français », ajoutant que la contestation de cette loi était née d’« une interprétation complètement absurde » d’un « pseudo-historien ».

Un seul ? L’article 4 de cette loi est à l’origine de la pétition parue dans Le Monde du 25 mars signée en quelques semaines par plus de mille enseignants, chercheurs, membres des universités, des grands établissements de l’enseignement supérieur dont le Collège de France, ainsi que de nombreux universitaires du Maghreb, d’Europe, des États-Unis, du Japon, d’Australie et d’autres pays [1]]. Leur critique a été rejointe par des associations comme la Ligue des droits de l’Homme, la Ligue de l’enseignement, le MRAP, la Licra ainsi que par les syndicats professionnels. L’Association française des anthropologues, l’Association des professeurs d’histoire et de géographie et les inspecteurs généraux ont demandé également l’abrogation de cet article 4.

Autant de ’pseudo-historiens’ qui auraient fait la même ’interprétation complètement absurde’ de cette loi ?

Les réactions algériennes prouvent, s’il en était besoin, que la loi concerne les pays anciennement colonisés et qu’elle risque de mettre la France dans une situation comparable à celle du Japon. L’histoire de la colonisation ne peut s’écrire que par le croisement des travaux des historiens des anciens pays colonisateurs avec ceux des historiens des anciens pays colonisés, ainsi qu’avec ceux des autres pays. Elle est loin de n’être qu’un « problème franco-français ».

Les milieux à l’origine de l’article de loi dont parle le ministre sont certaines associations de rapatriés, dont les plus agissantes ont été jusqu’à faire construire des monuments en l’honneur de l’OAS et étalent sur leurs sites leurs affinités avec l’extrême droite, leurs haines contre les « fauteurs » de paix. Ériger leur discours en vérité officielle reviendrait à nourrir les tensions internes de la société française et à dégrader les relations extérieures de la France. L’article 4 met en cause l’autonomie de la discipline historique. C’est pour défendre cette autonomie, pour assurer les fonctions sociales qui lui sont liées, que nous nous élevons contre de telles déclarations.

Scandalisés par ces propos, nous demandons au ministre de l’Education nationale - qui est demeuré jusqu’ici silencieux sur cette loi - de se prononcer. Nous demandons au président de la République, qui nomme par décret les professeurs d’université, de se prononcer lui aussi.




Esther Benbassa, directrice d’études à l’EPHE Jean Baubérot, directeur d’études à l’EHESS Raphaëlle Branche, maîtresse de conférences à Paris 1 Catherine Coquio, professeure à l’université de Poitiers Marc Ferro, directeur d’études émérite, EHESS Mohammed Harbi, professeur université de Paris 8 Thierry Le Bars, professeur de droit, université de Caën Claude Liauzu, professeur émérite université Denis Diderot Gilles Manceron, vice-président de la LDH Gilbert Meynier, professeur émérite, université de Nancy Sylvie Thénault, chercheuse à l’IHTP, chargée de recherches au CNRS Lucette Valensi, directrice d’études à l’EHESS Pierre Vidal-Naquet, directeur d’études honoraire à l’EHESS


[1] La liste des signataires est disponible sur [www.hermes.jussieu.fr->http://www.hermes.jussieu.fr





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