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Riposte meurtrière par la police aux manifestations Il faut enquêter sur les décès, autoriser les manifestations pacifiques, et permettre aux stations de radio d’émettre à nouveau 29 mai 2015 - http://www.hrw.org/ La police burundaise a recouru à la force de manière excessive en réprimant les manifestations contre la décision du Président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat. Selon des témoignages recueillis par Human Rights Watch, la police a tiré sur des personnes et les a battues, parfois alors qu’elles ne posaient aucune menace apparente. Les autorités ont fermé plusieurs stations de radio et ont menacé des journalistes, des militants des droits humains et des membres du personnel médical. « Les autorités burundaises devraient mettre fin à la répression exercée à l’encontre d’opposants et de détracteurs pacifiques », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Elles devraient ordonner à la police de cesser de recourir à une force excessive et meurtrière, ouvrir des enquêtes sur les décès et les passages à tabac de manifestants aux mains de la police, et faire rendre des comptes aux individus responsables. » Les restrictions aux déplacements dans la capitale, Bujumbura, et la peur généralisée au sein de la population font qu’il est difficile de confirmer le nombre exact des victimes. En se fondant sur des entretiens avec des membres du personnel médical et avec d’autres sources, Human Rights Watch estime que depuis le début de la vague de protestation le 26 avril, au moins 27 personnes ont été tuées lors des manifestations ou sont mortes des suites de blessures reçues lors de ces manifestations. D’autres personnes ont été tuées lors d’incidents distincts. Plus de 300 personnes ont été blessées. Il est probable que le nombre total des morts est encore plus élevé. Des milliers de manifestants sont descendus dans les rues après le meurtre, le 23 mai 2015, de Zedi Feruzi, le président de l’Union pour la paix et la démocratie- Zigamibanga, un parti politique d’opposition. Human Rights Watch n’a pas encore été en mesure de confirmer les circonstances de sa mort. Dans une déclaration publiée sur son site internet, la présidence burundaise l’a décrite comme un « assassinat ignoble » et a promis une enquête. La police a réagi avec agressivité aux manifestations, ce qui a donné lieu à de multiples affrontements dans plusieurs quartiers de Bujumbura. Bien que de nombreux manifestants aient été pacifiques, certains ont eu recours à la violence. Des témoins ont affirmé que la police a tiré sans distinction sur des manifestants - parfois à bout portant - les atteignant à la tête, au cou et à la poitrine. Des membres du personnel médical, des témoins, ainsi qu’une victime de tirs, ont affirmé à Human Rights Watch que certaines personnes avaient été atteintes dans le dos alors qu’elles s’enfuyaient. Les équipes médicales à Bujumbura s’occupent actuellement de plus de 100 personnes grièvement blessées. Des membres du personnel médical, des journalistes et des défenseurs des droits humains ont fait l’objet de menaces de mort et d’appels téléphoniques menaçants, ainsi que d’actes d’intimidation et de harcèlement de la part des autorités. Beaucoup de ceux qui ont reçu des menaces sont entrés dans la clandestinité ou ont quitté le Burundi. Les manifestations publiques ont débuté à Bujumbura le 26 avril. Le 13 mai, un groupe d’officiers de l’armée a tenté un coup d’État et annoncé que Pierre Nkurunziza avait été destitué. Après de lourds affrontements entre leurs partisans et des membres de l’armée fidèle au président, les dirigeants du coup d’État ont annoncé le 14 mai que leur tentative avait échoué et qu’ils allaient se rendre. Plusieurs officiers réputés impliqués dans la tentative de putsch ont été arrêtés. On ignore où se trouve leur chef, Godefroid Niyombare. À la suite du coup d’État manqué, les manifestants ont recommencé à protester dans les rues de Bujumbura le 18 mai, défiant le gouvernement qui leur avait ordonné d’arrêter et ignorant ses avertissements selon lesquels les manifestants seraient traités comme des partisans du coup d’État. Dans une déclaration émise le 18 mai, le Ministère des relations extérieures et de la coopération internationale a averti que « les manifestants seront traités comme des complices des putschistes car ils font obstruction aux enquêtes sur la tentative de putsch et perturbent délibérément l’ordre public ». Par contre, dans un communiqué de presse diffusé le 19 mai, la présidence a affirmé que le gouvernement n’avait pas de plan de vengeance et que les personnes impliquées dans la tentative de coup d’Etat seraient arrêtées et poursuivies par la justice, selon le prescrit de la loi. Depuis le début des manifestations, la police burundaise a arrêté des centaines de personnes, selon un porte-parole de la police et des organisations burundaises de défense des droits humains. Des témoins et des avocats ont affirmé à Human Rights Watch qu’ils ont également passé à tabac des détenus. Les Imbonerakure (« ceux qui voient loin » en kirundi) - membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie - Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) - ont également été impliqués dans des passages à tabac et des menaces. Certaines personnes ont été tuées ou blessées alors qu’elles prenaient part aux manifestations, tandis que d’autres ont été prises pour cible chez elles ou à proximité de leur domicile. Human Rights Watch a interrogé neuf personnes blessées par balles qui avaient reçu ces blessures dans divers quartiers de Bujumbura, et a obtenu des douilles de balles recueillies dans le quartier de Musaga après que la police eut tiré sur les manifestants. Un agent de police a confirmé à Human Rights Watch que certains policiers avaient tiré aussi bien à balles réelles qu’à blanc sur des manifestants dans les quartiers de Mutakura et Musaga pendant la première semaine des manifestations. Un homme a affirmé à Human Rights Watch qu’il était assis près d’une rue, à l’écart des manifestations, dans le quartier de Cibitoke le 28 avril, lorsque quatre policiers l’ont approché et lui ont dit de se lever. Il s’est levé, les mains en l’air. Un agent de police lui a alors tiré dans la jambe à bout portant. L’homme est tombé et le policier lui a dit : « Je t’ai eu. » Puis l’agent de police a ramassé une pierre comme s’il allait la lancer sur lui. Quand d’autres personnes sont arrivées, les policiers se sont enfuis. Dans un autre cas, une victime a affirmé que les policiers l’avaient abattue, puis l’avaient piétinée, à la tête et sur tout le corps. Cet homme a survécu. Certains manifestants ont lancé des pierres et des cocktails Molotov sur la police et ont utilisé des frondes pour lancer des pierres, des billes ou d’autres projectiles. Des manifestants se sont attaqués à des personnes qu’ils présumaient être des Imbonerakure et à des policiers qu’ils accusaient de viser des manifestants. Les manifestants qui commettent des agressions violentes devraient être traduits en justice, a déclaré Human Rights Watch. Le conseiller principal chargé de la communication du président, Willy Nyamitwe, a déclaré à Human Rights Watch : « Il y a peut-être des policiers qui ont exagéré la force et d’autres qui se sont mal conduit. Il faut reconnaitre aussi que les manifestants commettent des violations des droits humains et personne n’en parle. » Il a souligné que certains agents de police avaient été arrêtés car « ils avaient utilisé des balles réelles contre les manifestants » et il a ajouté : « Le président a été clair : aucun acte (de violence) ne restera impuni. Et cela vaut aussi pour les manifestants. » Le porte-parole adjoint de la police, Pierre Nkurikiye, a déclaré le 25 mai que six agents de police avaient été tués et au moins 126 blessés depuis le début des manifestations. Nkurikiye a affirmé que quatre policiers avaient été arrêtés à Bujumbura pour avoir tiré sur des personnes. Trois ont été remis en liberté provisoire et le quatrième est toujours en détention. Des enquêtes sont en cours dans les quatre cas. Lors de manifestations, la police devrait respecter les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. Ces principes appellent les responsables de l’application des lois à recourir à des moyens non violents avant de recourir à la force, à n’utiliser la force que de manière proportionnelle à la gravité de l’infraction commise, et à ne recourir à la force létale qu’en dernier ressort lorsque c’est absolument inévitable afin de protéger des vies. Plusieurs centaines de manifestants et de badauds ont été arrêtés depuis le début du mouvement de protestation. Selon les statistiques de la police, 892 personnes ont été arrêtées dans le cadre des manifestations entre le 26 avril et le 12 mai. Le porte-parole adjoint de la police a affirmé à Human Rights Watch, lors d’une réunion, que la police avait remis en liberté 568 personnes, en majorité des mineurs ou des badauds. Les dossiers de 280 autres détenus ont été transférés au parquet. Lors de la tentative de coup d’État, des individus ont saccagé un centre de détention de la police connu sous le nom de Bureau spécial de recherche (BSR) et ont libéré environ 50 détenus. Le gouvernement burundais devrait immédiatement restaurer le respect des libertés d’expression et de réunion, y compris le droit de manifester pacifiquement, autoriser les stations de radio à reprendre leurs émissions, et cesser de harceler les journalistes et les défenseurs des droits humains, a affirmé Human Rights Watch. Les gouvernements et les organisations intergouvernementales, en particulier l’Union africaine, devraient maintenir des efforts diplomatiques et faire comprendre au gouvernement burundais la nécessité de restaurer le respect des droits humains fondamentaux comme précondition à la tenue d’élections pacifiques et équitables, a affirmé Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait envisager l’envoi d’une nouvelle mission au Burundi, et indiquer clairement à tous les acteurs au Burundi que si des violations des droits humains graves ou à grande échelle sont commises, les personnes responsables pourraient faire l’objet de sanctions. Les rapporteurs spéciaux des Nations Unies et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples chargés de surveiller les libertés d’expression et d’opinion, de réunion et d’association, les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, ainsi que la situation des défenseurs des droits humains devraient se rendre d’urgence au Burundi et enquêter sur les récents abus. Human Rights Watch a également encouragé le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme de renforcer sa capacité de surveiller la situation au Burundi et d’informer le Conseil des droits de l’homme de tout développement. Le Haut-Commissariat devrait documenter les violations des droits humains par le biais de sa présence au Burundi et produire régulièrement des rapports publics sur ses constatations. « Toutes les parties au Burundi doivent faire preuve de retenue », a affirmé Daniel Bekele. « La police a certes le droit de contrôler les foules et peut avoir besoin de recourir à la force pour faire face à des violences, mais elle ne devrait le faire que si c’est absolument nécessaire et de manière proportionnée. » Pour prendre connaissance d’informations complémentaires et de témoignages des personnes interrogées, veuillez lire ci-dessous.Tirs par la police et autres attaques En se basant sur des entretiens avec une série de sources - dont des membres du personnel hospitalier, des représentants d’organisations humanitaires et des militants des droits humains - Human Rights Watch estime qu’au moins 27 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier tous les décès ou d’en confirmer le total exact, qui est probablement plus élevé. Manifestants atteints par balle pendant les protestations Human Rights Watch a recueilli les témoignages de neuf personnes qui ont été blessées par balle lors des manifestations. Dans plusieurs cas, il a été difficile d’établir si la police avait délibérément visé certains manifestants ou avait ouvert le feu sans distinction, ou encore si ces personnes avaient été atteintes par des balles perdues. Un étudiant âgé de 20 ans qui a été touché à l’aine par un tir de la police a affirmé qu’il prenait part à une manifestation le 4 mai dans le quartier de Kinindo à Bujumbura, quand des policiers sont arrivés et ont dit aux manifestants de reculer : « Nous leur avons dit que nous allions rester dans la rue et manifester pacifiquement et que nous n’allions rien endommager. Certains policiers ont dit qu’ils devraient nous laisser manifester pacifiquement ; d’autres ont dit qu’ils n’avaient pas encore reçu leurs ordres. Ils ont exigé que nous quittions les lieux avant que quoi que ce soit ne soit endommagé. Nous sommes restés là, à danser et à chanter. La police a commencé à retirer des pierres qui bloquaient la rue. Les manifestants ne voulaient pas les laisser faire. Les policiers ont dit : « Si vous refusez de nous laisser les enlever, vous allez voir ce qui va se passer. » Les policiers ont lancé quatre grenades lacrymogènes. Puis ils nous ont tiré dessus. Ils m’ont atteint alors que je transportais mon ami qui avait aussi été touché. » Un autre manifestant de 20 ans blessé d’une balle dans le genou gauche a déclaré que des policiers étaient descendus d’un véhicule aux vitres fumées dans le quartier de Musaga le 30 avril et avaient commencé à tirer : « Je n’ai pas pu m’enfuir. J’étais déjà touché. Quatre agents de police sont arrivés et ont commencé à me frapper. Ils m’ont donné des coups de pied et quelqu’un m’a fouetté avec une ceinture militaire. Ils ont dit : ‘Vous allez souffrir parce que vous êtes contre le président de la république.’ Ils m’ont tabassé pendant environ trois minutes. Puis d’autres manifestants leur ont jeté des pierres et ils se sont enfuis. » Un étudiant de 18 ans du quartier de Ngagara a déclaré que le 28 avril, il avait accompagné un ami à son domicile dans le quartier de Cibitoke. Il a affirmé que ni l’un ni l’autre ne prenait part aux manifestations : « Nous étions assis sur un bloc de ciment. Subitement, nous avons vu des gens courir … Après cela, nous avons vu des policiers arriver vers le lieu où nous étions assis. Mon ami s’est enfui. Un policier m’a dit de me lever. Je me suis levé, avec les mains en l’air. Puis il m’a tiré une balle dans la jambe. Il a dit ‘Je t’ai eu.’ Il voulait me jeter une pierre à la tête. De nombreuses personnes se sont approchées. C’est peut-être ce qui l’a dissuadé. » Un homme âgé de 30 ans a déclaré que le 10 mai, des manifestants qui protestaient dans le quartier de Musaga avaient nargué la police, et que celle-ci avait réagi avec violence. L’un des amis de cet homme a été atteint par des tirs. « [Les manifestants] disaient : « Nous ne quitterons pas la rue. Nous sommes contre le troisième mandat [pour le président]. » Il y avait environ 30 policiers… Ils ont commencé à tirer au gaz lacrymogène. Les manifestants, ainsi que des personnes qui revenaient de la messe, se sont mis à courir vers leurs maisons. C’est le moment où les policiers ont tiré des balles. Je ne peux pas expliquer comment c’est arrivé, parce que les balles ont atteint ceux qui étaient devant nous. Nous n’avons pas été touchés. » « J’étais presque arrivé chez moi quand j’ai trouvé [mon ami]. Il était affaibli et il ne parlait pas. Ils l’avaient atteint au derrière et la balle était ressortie par l’aine. » Cet homme a porté son ami, qui saignait abondamment, vers un poste de soins de première urgence. Il a affirmé qu’ils ont rencontré un groupe de policiers, qui lui ont dit : ‘N’amène pas tes bêtises ici,’ en référence à son ami blessé. Celui-ci est mort dans une clinique avant même de pouvoir être soigné. Un certain nombre d’autres attaques ont eu lieu à partir du 26 avril. Les motifs et l’identité des agresseurs n’étaient pas toujours clairs. Par exemple, dans le quartier de Mutakura, des hommes en uniforme de camouflage (tenue « tache tache ») et un autre homme non identifié en tenue civile ont fait irruption dans plusieurs maisons dans la soirée du 26 avril. Ils ont attaqué les habitants à coups de machette, de gourdin et de baïonnette, et ont abattu trois d’entre eux. Certains des ces agresseurs ont crié des insultes à caractère ethnique en partant. Menaces proférées à l’encontre de membres du personnel médical et mise en danger des personnels hospitaliers et des malades Human Rights Watch s’est entretenu avec des manifestants blessés ainsi qu’avec des membres du personnel médical et des gardes-malades, qui ont affirmé que la police avait intimidé le personnel médical dans plusieurs hôpitaux de Bujumbura. Des témoins ont déclaré que des agents des services de renseignement s’étaient rendus dans au moins trois hôpitaux et, dans deux de ces établissements, avaient exigé que le personnel hospitalier leur fournisse des listes des manifestants se trouvant dans leurs services. Des autorités gouvernementales, accompagnées de journalistes, ont filmé des blessés dans au moins un hôpital, sans explication. Au moins un membre du personnel hospitalier a reçu des appels téléphoniques anonymes le menaçant de mort pour avoir soigné des manifestants. Des témoins ont affirmé que le 14 mai, un groupe de 40 à 50 agents de police fidèles au président Nkurunziza se sont rendus à l’hôpital privé Bumerec, à la recherche de militaires blessés prétendument impliqués dans la tentative de coup d’État, qui y étaient soignés. Quand ces policiers ont tenté d’entrer de force dans la salle des urgences, il y a eu un échange de tirs entre les policiers et les militaires. Des policiers se trouvant derrière la porte ont tiré dans la salle des urgences. Un policier a été atteint lors de cet échange de tirs ; on ignore s’il a survécu. Des militaires fidèles au président sont arrivés à l’hôpital en renfort de la police. Les policiers sont alors allés de chambre en chambre à la recherche d’une militaire blessée. Ne la trouvant pas, ils ont forcé tous les malades, les membres du personnel de santé et les gardes-malades à sortir dans la cour. Certains policiers ont menacé « d’incendier l’hôpital » s’ils ne trouvaient pas cette femme militaire. Celle-ci s’était changée pour s’habiller en civil. Quand les policiers l’ont découverte, un témoin a entendu un policier dire : « Désolé. Normalement, ceci ne devrait pas se produire. Mais en temps de guerre, ça se passe comme ça. » Les policiers sont partis, emmenant cette femme militaire, un autre militaire blessé et un troisième militaire qui les avait aidés. On ignore ce qu’il advenu de ces trois militaires. Dans un discours le 20 mai, le président Nkurunziza a déclaré que les autorités judiciaires devraient enquêter d’urgence sur les « tristes événements » survenus à l’hôpital Bumerec et s’assurer que les personnes responsables soient punies conformément à la loi. Passages à tabac par la police Des victimes et des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que la police avait sévèrement battu des manifestants et des détenus, ainsi que des personnes détenues par les services de renseignement. La police a arrêté un homme âgé de 32 ans qui gardait sa maison dans la nuit du 29 avril. Il a raconté que les agents l’ont giflé et l’ont emmené, en compagnie d’au moins un autre homme qu’ils avaient arrêté, au bureau communal où un policier l’a battu et forcé à signer un procès-verbal : « Il [l’agent de police] était furieux. La première chose qu’il a faite a été de chercher une feuille de papier pour écrire mon procès-verbal. Puis il a commencé à nous frapper. Il s’est servi d’un câble électrique. Il a dit : « Vous avez des armes et vous protestez contre le troisième mandat du président. » J’ai dit : « Nous n’avons pas d’armes. » Il nous a frappés pour que nous acceptions tout ce qu’il écrivait et toutes ses questions. Quand nous essayions de dire que son accusation - selon laquelle nous avions des armes - n’était pas vraie, il nous battait encore pour nous le faire admettre. » « Ensuite, il m’a assis sur une chaise, m’a lié les bras derrière le dos et m’a de nouveau frappé. Quand il a essayé de me faire signer [le procès-verbal] de force, [un policier] a trouvé une machette. Il m’a frappé dans le dos du plat de la machette. C’est [un autre] policier qui m’a frappé avec. [Le premier policier] a pris un tampon encreur. Il m’a pris la main de force, l’a apposée sur le tampon, puis l’a apposée sur le papier. » Cet homme a été emmené au BSR - le centre de détention de la police - puis, en compagnie d’autres détenus, aux locaux des services de renseignement. Il a affirmé qu’un agent des services de renseignement l’a enregistré, puis il l’a entendu donner l’ordre d’emmener les détenus à « l’école » (ce qui signifiait probablement qu’ils allaient être passés à tabac). L’homme a affirmé que des policiers affectés aux services de renseignement ont battu les détenus avec un type de barre de fer utilisée dans la construction de bâtiments : « Nous avons été frappés à coups de barre de fer sur le derrière. Les SNR [services de renseignement] ont donné l’ordre aux policiers de nous frapper. Nous étions au moins sept dans le couloir [à être battus]. Ils nous ont dit : « Vous êtes à l’école et vous en sortirez intelligents. » Chaque personne avait un policier chargé de le frapper. Quand l’un d’eux était fatigué, un autre arrivait. Quand ils ont fini, ils nous ont giflé sur les oreilles. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à entendre de l’oreille gauche. J’ai vu d’autres personnes qui étaient battues après nous. Elles sont revenues [dans notre cachot] en mauvais état et ont dû être emmenées à l’hôpital. » Une manifestante âgée de 26 ans a affirmé que quatre policiers l’ont battue après son arrestation en compagnie de huit autres manifestants le 4 mai à proximité de l’université. Des policiers les ont emmenés en voiture dans une zone boisée près d’un campement de la police, où ils les ont battus de nouveau : « Ils nous ont frappés durement avec des matraques de police. Plus de 10 policiers étaient là et ont participé. Nous avons aussi été battus par celui qui nous a amenés. L’un d’eux a pris sa matraque et les autres ont pris la leur et ils ont battu tout le monde. Chacun d’eux a pris l’un d’entre nous. Quand nous étions étendus par terre, ils nous frappaient dans le dos et souvent sur la plante des pieds. Ils nous ont battus pendant cinq minutes. J’ai crié : « Pardonnez-nous ! » J’ai dit : « Jésus ! Jésus ! » quand ils me battaient. Ils m’ont dit : « N’appelle pas Jésus. Ce n’est pas lui qui t’a demandé d’aller à la manifestation. » » Un militant des droits humains âgé de 38 ans a été arrêté le 4 mai dans le quartier de Cibitoke, à Bujumbura. Il a affirmé que pendant la manifestation, il avait pris un enfant dans ses bras au moment où la police a commencé à tirer. Alors qu’il emportait l’enfant pour le mettre en sûreté, une dizaine de policiers l’ont attaqué. Ils l’ont battu à coups de matraque et de ceinture et l’ont roué de coups de pied. Ils l’ont laissé déposer l’enfant, puis lui ont dit de monter dans une camionnette aux vitres fumées, indiquant qu’ils l’emmenaient au Camp Socarti, un camp de la police à Bujumbura : « J’ai dit : « Non, je ne suis pas un policier. » Ils ont répondu : « Tu n’as aucun droit. » J’ai dit : « Je ne suis ni policier, ni militaire. Je vais ouvrir la porte et sauter de la voiture en marche. » [Le policier] m’a ordonné de m’allonger par terre au milieu de la rue. Ils ont commencé à me battre. Pendant qu’ils me battaient, on pouvait entendre la Radio Bonesha [une station de radio privée] et ils ont entendu la radio mentionner mon nom. [L’un des policiers] a dit : « Toi, tu es qui, imbécile ? » J’ai répondu : « Je suis un simple citoyen. Tout ce que vous faites est mentionné à la radio. » » Les policiers l’ont conduit dans le quartier de Kamenge, où il a fait une déclaration à la police judiciaire : « Lundi soir, une personne affirmant être le chef de la section d’enquêtes criminelles de la police judiciaire… m’a dit de l’accompagner. Il a apporté une pancarte [écrite à la main] proclamant une opposition à un troisième mandat pour le président. Il voulait prendre une photo de moi avec la pancarte. J’ai dit : « Je ne peux pas être photographié devant cette pancarte. Ce n’est pas moi qui l’ai écrite et vous ne m’avez pas attrapé avec ça. » J’ai dit cela devant l’[officier de police judiciaire]. Il m’a soutenu. » Le militant a ensuite été emmené au BSR, puis remis en liberté. Des avocats qui ont rendu visite à des détenus au BSR ont affirmé à Human Rights Watch que les personnes arrêtées avant la tentative de coup d’État y étaient détenues dans de très mauvaises conditions. Selon des avocats, certains sont arrivés au BSR allongés à plat ventre dans des véhicules de police, avec des policiers qui les maintenaient au sol sous leurs pieds, tandis que d’autres étaient battus au moment de leur arrestation. Abus et menaces de la part des Imbonerakure Depuis les dernières élections de 2010 au Burundi, le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, s’est servi des Imbonerakure pour menacer les membres des partis d’opposition et les forcer à changer d’allégeance, souvent par des moyens violents. Peu d’Imbonerakure ont été traduits en justice pour ces crimes. Depuis le début des manifestations le 26 avril, les Imbonerakure ont maltraité et menacé des personnes soupçonnées d’être des opposants au CNDD-FDD. Un Imbonerakure âgé de 32 ans et vivant à Bujumbura a déclaré le 2 mai à Human Rights Watch : « On mate ceux qui ne sont pas d’accord avec nous. Nous intimidons des gens. Nous leur disons : Si vous n’êtes pas membre de notre parti, vous ne pourrez travailler nulle part au Burundi. Ceux qui essaient de nous combattre, nous pouvons les tuer. » Le 30 avril, un militant des droits humains a vu environ 30 Imbonerakure marchant en file indienne près de la paroisse dans le quartier de Kanyosha, en direction d’une des zones où se tenaient les manifestations. Certains portaient des chaînes de bicyclette ou des machettes, a précisé ce militant. Un Imbonerakure vivant à Bujumbura a affirmé que des Imbonerakure originaires des provinces de Ngozi et Bubanza étaient venus dans la capitale pour intimider les manifestants et apporter des renforts aux Imbonerakure de la ville et à la police. Il a précisé que les Imbonerakure se voyaient promettre jusqu’à 10 000 francs burundais (5,71 dollars US) pour une journée de travail, s’ils réussissaient à contrecarrer les manifestants : « Les machettes, nous ne les cachons pas. Elles sont là pour intimider les gens. Nous n’approchons pas la police. Les policiers nous voient et nous laissent faire ce que nous voulons. Ils sont informés de ce que nous devons faire. » « Là où j’habite, nous avons trois fusils dans notre groupe, des kalachnikovs. C’est notre chef qui nous les a donnés. Nous les avons [les fusils] depuis longtemps, depuis avant les élections de 2010. Chaque groupe d’Imbonerakure a des fusils, et même des grenades et des balles. » « Nous ne pouvons pas sortir sans machettes, sans grenades ou sans gourdins. Nous portons des habits dans lesquels nous pouvons cacher ces choses. Nous avons des bâtons avec des clous. Nous crions aux manifestants : « Ceux qui veulent mourir, approchez ! » [Quand nous sommes aux manifestations] personne ne nous dit ce que nous devons faire. Nous y allons pour stopper les manifestants, afin qu’ils ne viennent pas dans notre zone influencer d’autres personnes. » Human Rights Watch a interrogé un enseignant âgé de 26 ans membre du parti d’opposition FRODEBU-Nyakuri, qui s’était enfui au Rwanda fin mars. Il a affirmé que des Imbonerakure étaient venus deux fois dans son école, les 14 et 21 mars, et lui avaient ordonné de renoncer à son parti sous peine de perdre son emploi : « Au soir du 24 mars, un ami m’a averti que des Imbonerakure étaient à ma recherche à mon domicile. Ils étaient armés de gourdins, de bâtons, de machettes et de barres de fer. J’ai appelé mon voisin à l’aide. Je suis parti vêtu d’un pyjama et d’un T-shirt avec une photo de Pierre Nkurunziza. Immédiatement (deux des Imbonerakure) m’ont fait allonger par terre et ont commencé à me frapper. » Il a dit que ses voisins ont appelé la police. Les trois Imbonerakure ont été arrêtés en raison de ces brutalités mais ont été libérés dès le lendemain. Restrictions imposées à la liberté de la presse, menaces contre les journalistes et les défenseurs des droits humains Le gouvernement s’en est pris aux médias dans sa répression depuis le début du mouvement de protestation. L’une des premières mesures prises par le gouvernement a été de fermer l’une des stations de radio les plus écoutées du pays, la Radio publique africaine (RPA), le 27 avril. De hautes autorités du gouvernement et de la police sont entrées dans les bureaux de la station et ont ordonné aux journalistes de partir et à la station de fermer. Le même jour, le gouvernement a suspendu les émissions de Radio Isanganiro et de Radio Bonesha en dehors de la capitale, ont coupé leurs lignes de téléphone fixe et ont interdit aux trois stations de diffuser des reportages en direct des manifestations. Au cours des jours suivants, le ministre de la Communication, Tharcisse Nkezabahizi, a convoqué à plusieurs reprises dans son bureau la directrice de Radio Isanganiro pour se plaindre des émissions de la station, de ses choix musicaux et de ses choix de sujets et de leur traitement. Peu après la tentative de coup d’État, aux premières heures du 14 mai, des personnes présumées fidèles au président ont attaqué les bureaux de la RPA, de Radio Bonesha, de Radio Isanganiro et de Radio-Télévision Renaissance. Aucune de ces stations n’a émis depuis ce jour-là. Des informations ont également circulé selon lesquelles des personnes non identifiées avaient attaqué les bureaux de Radio Rema FM, une station proche du parti au pouvoir, le 13 mai ; elle aussi a cessé d’émettre. L’attaque contre le siège de Radio Bonesha a été particulièrement violente, selon des journalistes de cette radio et un autre témoin. Des hommes en uniforme de la police ont lancé une grenade dans le bureau et tiré sur le matériel de diffusion de la radio, le détruisant. Un homme qui se trouvait par hasard à proximité a été témoin de l’attaque : « J’ai vu un camion avec des policiers à bord … Ils ont commencé à tirer sur Bonesha. Il y avait des militaires à l’intérieur de Bonesha, laissés là par les putschistes, j’imagine. Quand les policiers ont entendu les militaires riposter, ils ont dit : « Il y a des militaires à l’intérieur. » Ils sont remontés dans leur camion et sont repartis. » « Ensuite j’ai vu de nombreux policiers revenir, avec des armes lourdes. Ils ont pris position en divers emplacements … Ils ont enfoncé le portail de Bonesha et ont beaucoup tiré. Beaucoup, beaucoup d’entre eux sont entrés. Je me suis caché derrière un immeuble en construction… Je n’avais encore jamais vu la police avec des armes lourdes comme cela. Je les ai vus portant des lance-roquettes sur l’épaule. Ils portaient des uniformes neufs. Ils ont pénétré dans l’immeuble et sont montés à l’étage, puis il y a eu une explosion. » Dans un message à la nation le 20 mai, le président Nkurunziza a mis en garde « les médias burundais ou étrangers qui pourraient essayer de diffuser des informations qui pourraient semer la haine et la division parmi les Burundais et discréditer le Burundi, ou encourager des mouvements d’insurrection lors de cette période électorale. » Dans un communiqué de cinq pages publié le 22 mai, le secrétaire général et porte-parole du gouvernement, Philippe Nzobonariba, a affirmé que « les radios sont devenues des agents vecteurs de l’insurrection en propageant les rumeurs les plus alarmistes dans le pays ». La police a agressé et menacé individuellement des journalistes. Le 29 avril, deux policiers ont accosté un photographe de presse burundais qui prenait des photos sur les lieux d’une manifestation. L’un des agents s’est emparé de l’appareil du journaliste et a effacé toutes les photos. Il a dit au journaliste qu’il n’avait pas le droit de prendre des photos où bon lui semblait et a demandé au second policier de le chasser : « Il m’a frappé à quatre reprises au coude gauche. Je lui ai demandé : ‘Pourquoi me frappez-vous comme un criminel ?’ Il a répondu : ‘Je peux même te tuer.’ » Le 2 mai, le même photographe de presse a reçu un appel téléphonique d’un numéro inconnu. L’homme qui appelait ne s’est pas identifié. Il a dit : « Tu vois ? C’est difficile de prendre des photos là où tu veux. Tu n’en prendras plus. Si tu continues à prendre des photos, tu peux même mourir. » Le 4 mai, un journaliste burundais et deux de ses collègues couvraient les manifestations quand plusieurs policiers se sont approchés de sa voiture, ont arrêté le journaliste et ont accusé ses collègues d’être en possession d’armes. Le journaliste a indiqué que l’un des agents de police affirmait avoir reçu un message SMS ordonnant son arrestation. La police l’a remis en liberté plus tard dans la soirée. Le lendemain, deux hommes habillés en civil, qui ne se sont pas identifiés, sont arrivés au domicile du journaliste et lui ont ordonné de les suivre jusqu’au poste de police. Ils l’ont interrogé et lui ont dit qu’une liste avait été dressée de journalistes travaillant pour l’opposition et financés par des blancs. Quand le journaliste a demandé des informations supplémentaires, ils lui ont dit : « Si tu poses beaucoup de questions, tu vas voir beaucoup de choses. » Le surlendemain, deux hommes en civil affirmant travailler pour le gouvernement ont interrogé un autre journaliste et lui ont dit : « Tu es sur une liste noire comme d’autres journalistes qui travaillent pour les blancs. » Il n’a pas pu être établi clairement s’il s’agissait des mêmes hommes. Les défenseurs burundais des droits humains et d’autres membres d’organisations non gouvernementales ont également reçu des menaces à de multiples reprises depuis le 26 avril, en particulier ceux qui ont fait campagne contre un troisième mandat pour le président Nkurunziza. Un éminent défenseur des droits humains, Pierre Claver Mbonimpa, président d’une association de défense de ces droits, l’APRODH, a été arrêté le 27 avril, puis libéré le lendemain. De nombreux militants et journalistes se sont cachés par crainte d’être arrêtés ou de faire l’objet de représailles de la part d’agents du gouvernement. Violences perpétrées par les manifestants Certains manifestants ont recouru à la violence et à l’intimidation, malgré des appels publics lancés par des dirigeants d’organisations non gouvernementales pour que les manifestations demeurent pacifiques. Dans certaines zones, les manifestants ont empêché des habitants de sortir de leur quartier, les faisant rebrousser chemin à des barrières et leur demandant de rejoindre ou de soutenir les manifestations. Des manifestants ont incendié des véhicules, attaqué et saccagé des immeubles, et blessé des policiers en leur lançant des pierres. Les manifestants devraient s’abstenir de tout acte de violence, a affirmé Human Rights Watch. Des manifestants ont tué un homme soupçonné d’être un Imbonerakure le 7 mai, dans le quartier Nyakabiga III. Un témoin a affirmé à Human Rights Watch que des femmes qui étaient allées au marché avaient donné aux manifestants une information selon laquelle un véhicule avait déposé trois hommes inconnus dans le quartier ce matin-là. Les manifestants ont capturé deux de ces hommes. L’un des deux a affirmé qu’il était du quartier mais personne ne l’a reconnu. Des manifestants, persuadés que c’était un Imbonerakure, l’ont encerclé et voulaient le lapider. D’autres manifestants n’étaient pas d’accord et une dispute a éclaté. Un témoin de la scène a raconté que certains manifestants criaient : « Nous, on nous tue tout le temps. Puisque nous sommes tués sans scrupules, nous devons le tuer lui aussi. » D’autres ont dit : « Tuez-le. Ils (les Imbonerakure) lancent des grenades et ne sont jamais punis. Nous devons les punir. » Des manifestants ont alors entouré l’Imbonerakure, lui ont lancé des pierres à la tête et l’ont frappé à coups de gourdins. Après sa mort, ils ont placé un pneu autour de son cadavre et l’ont brûlé. Ce meurtre devrait faire l’objet d’une enquête et les personnes responsables devraient être traduites en justice, a déclaré Human Rights Watch. Le 7 mai, des manifestants ont empêché des élèves du quartier Nyakabiga de participer aux examens de fin d’année et ont refusé de les laisser franchir des barrières. Ils ont déclaré aux parents qu’il n’y aurait pas d’examens nationaux et qu’ils ne devraient pas mener leurs enfants à l’école. Un enseignant d’une école où les examens devaient se dérouler a affirmé que les manifestants criaient : « Ne laissez pas les examens se dérouler ! Ils (les élèves) doivent partir ! Sinon, nous les ferons partir. » Environ 70 manifestants ont lancé des pierres contre les bâtiments de l’école. Après s’être entretenu avec les manifestants, le personnel de l’école a accepté de ne pas tenir les examens. |
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